La question du style chez Remy de Gourmont est problématique. En témoigne, de prime abord, l’intitulé de l’ouvrage Problème du style, publié en 1902 aux éditions du Mercure de France.
 
Ce livre, traitant en grande partie de ce sujet, se présente comme un lieu de « réfutation », dont l’objet est : « […] de développer cinq ou six motifs de pas croire aux recettes de la Rhétorique. » (Problème du style, p.9). De fait, Il s’agit d’une critique acerbe de deux ouvrages de M. Antoine Albalat.
 
L’antithèse de Remy de Gourmont se déploie donc à l’appui d’un genre, qui appartient, comme il le fait remarquer, au siècle des Lumières. En ce sens, elle lui permet de mieux cerner la pensée de M. Albalat pour ensuite la contrecarrer, la nuancer ou montrer sa légèreté, sa fausseté. D’ailleurs la structure de l’ouvrage, tout à fait singulière, indique, par les titres de chaque partie notamment, qu’il s’agit d’une mise à mal par une démonstration rigoureuse et souvent pertinente.
 
Le propos de Gourmont semble clair à première vue. Mais au fond, il développe une métaphore particulière, assimilée parfois à la comparaison, mais ne se prêtant jamais à confusion. Dans cet ouvrage, où il en est question, la métaphore n’a pas besoin d’être interprétée pour être comprise comme théorie possible, qui serait issue de la pratique de Remy de Gourmont. Elle est déjà perceptible, ici, à travers chaque composante de la partie la plus longue du livre : « Les deux clefs du coffre (1), La Pate et Le Levain (2)). Certes, la métaphore chez Remy de Gourmont nécessite une réflexion approfondie pour en montrer la complexité certaine, mais elle reste de manière évidente étroitement liée à la question du style. C’est que le style, chez Gourmont, n’est pas une notion, mais un concept. La différence est palpable, pour lui reprendre cet adjectif. Le style n’est pas, pour Remy de Gourmont, une manière d’écrire ou de parler personnelle, qui s’apprend. Il se trouve du côté de la physiologie, de la sensibilité, dont il dépendrait par ailleurs. Lorsque nous écrivons que le style est un concept chez Remy de Gourmont, nous faisons appel à une lapalissade : le style, chez lui, ne peut guère se confondre à celui que nous entendons par les formules avoir du style, dénué de style, manquer de style, etc. Il n’est pas cela ; il est autre chose.
 
En effet, le style est beaucoup plus complexe que nous l’entendons d’habitude. Ses premiers critères définitoires, la vision et l’émotion, en sont les preuves tangibles. Car, ils introduisent  à deux différents types de style auxquels la conjonction de coordination et  dans le groupe nominal précédent renvoie. Autrement dit, il y a pour Gourmont deux sortes de styles : visuel et émotif. L’étude de cette opposition permettrait de bien les définir et voir si le style de Gourmont lui-même appartient à l’un ou à l’autre,  ou aux deux à la fois.
 
La seconde partie de l’ouvrage aborde deux principales questions, relevant de la poésie de la fin du dix-neuvième siècle. Il s’agit, en premier lieu, d’une recherche sur les tendances et les origines du Symbolisme  et en second lieu du problème de l’e muet. A partir du livre de Van Bever et P. Léautaud, qui s’intéressent essentiellement aux origines du Symbolisme, Remy de Gourmont  esquisse à grands traits les influences étrangères du mouvement. Le point de départ de sa réflexion est clairement formulé au début de son étude : « Quand il se fait un changement dans la littérature, la cause en est toujours extérieure ». L’adjectif extérieur pose, à notre sens, la  question de l’altérité radicale dans la littérature, et montre à différents égards une crise identitaire de cette littérature. Ainsi, l’étude montre que le vers libre, tel qu’il a été entendu par Vielé-Griffin, viendrait en partie de Walt Whitman, dont nous connaissons les attaches à la Bible. Autrement dit, le vers libre symboliste, qui, par ailleurs a fait la réputation de Gustave Kahn,  ne serait au fond : « […] que le verset hébraïque des prophètes […] ». (Problème de style, p.159).
 
Sans approfondir cette réflexion sur le vers libre, Remy de Gourmont s’attache principalement à des figures représentatives de la poésie symbolistes tels que Rimbaud, Mallarmé, Verlaine, dont beaucoup de jeunes poètes de la dernière génération se réclameront, malgré eux.
 
La question de l’e muet a déjà été posée et traitée de nombreuses fois. Elle s’inscrit dans une pratique de l’organisation du vers, qui détermine son rythme dans le poème. Cette question, telle qu’elle fut formulée par Remy de Gourmont, concerne en particulier le vers libre symboliste. En effet, le e muet, chez certains symbolistes comme Marie Krysinska, peut ne pas compter alors même qu’il se trouve entre deux phonèmes consonantiques ou peut compter, bien que suivi d’une autre voyelle. Certes, ce problème s’est  déjà présenté dans le décompte syllabique notamment chez les pratiquants du sonnet, mais il semble que là, il est d’une autre nature. Puisque le e est désormais une préoccupation rythmique du vers libre.
 
Le propos de Gourmont est une analyse critique du livre d’André Beaunier, sur lequel il ne s’appuie guère, en revanche. Il témoigne d’un travail critique tout à fait estimable sur un ouvrage dévoué à la poésie nouvelle et qui semble parfois guidé par les goûts du moment. Dans ce chapitre, le plus court des quatre, Remy de Gourmont s’est donc attelé à montrer que la question de l’e muet n’a pas de réponses définitives, à même de fournir une règle.
 
D’une part, parce qu’elle est toujours révisable, d’autre part parce qu’elle reste liée à la pratique de chaque poète qui, suggère Gourmont, devrait « oublier les chimères de l’orthographe et ne rien écrire sans consulter l’oracle, ― l’oreille. » (Problème de style,p.190). Il s’agit donc, autrement dit, d’une problématique relevant de la phonétique et indissociable, à notre sens, d’une pensée de la prosodie. On peut supposer, en définitive, que l’usage ou le rejet de l’e muet s’inscrivent a fortiori dans la technique de la poésie symboliste française, toujours difficile à définir, mais dont on peut néanmoins présenter les traits caractéristiques.
 
Le troisième volet de ce discours critique pose clairement la question fondamentale du rapport entre l’Art et le peuple. Pivot de cette étude, cette interrogation, à laquelle s’ajoutera une brève réflexion sur l’avenir de l’impressionnisme comme Art nouveau, se relie au problème du style : « « Le problème du style » est important, si l’art est important, si la civilisation est importante ». Le substantif civilisation est polysémique, pour être simple. Ses différentes acceptions attestent qu’il s’agit bien de tout ce qui se rapporte au peuple.
 
Cette proposition, marquée par une analogie syntaxique de structure Sujet+verbe+attribut, indique une pensée de l’art et de la civilisation comme des valeurs distinctes, mais entretenant un rapport certain. Autrement dit, la question du style se trouve, une nouvelle fois, au centre de ce rapport. Partant de l’opposition peuple, intellectuel, Gourmont démontre que « l’art est, par essence, inintelligible au peuple ». Dans le sens où « le peuple ne peut comprendre, artistiquement, ni un poème, ni un tableau ». C’est  que, explique Gourmont, pour le peuple, tout est dans le sujet du poème et du tableau ; or pour « l’intellectuel », tout est dans la manière dont le sujet est traité. Il s’agit donc bien de la manière, de la façon, du comment c’est fait. Cela implique une pensée de l’art comme problème de modalité et présente l’intellectuel comme celui qui réfléchit sur le comment, sur le style comme pratique individuelle.
 
 Au fond, Remy de Gourmont vitupère ici contre Tolstoï, qui postule « une infaillibilité artistique du peuple ». En effet, pour Gourmont « le peuple n’est pas fait pour l’art et l’art n’est pas fait pour le peuple. Le peuple, précise-it-il, ne goûte pas l’exception, or l’art est une perpétuelle exception. Cette réflexion nécessite, à notre avis, une analyse approfondie qui se donnerait pour tâche une distinction entre «  un faux art et un art ingénu » et une définition du vocable exception, suivant le propos de Gourmont.
 
 La dernière partie de ce livre prend en grippe une  réforme partielle de l’orthographe de la langue française publiée dans le Journal officiel du 1er août 1900. Il s’agit notamment « des modifications de genre et de nombre que subissent  les mots pour se conformer aux règles traditionnelles de l’accord ». De fait, Remy de Gourmont examine ici en détail toutes ces réformes figurant dans le décret, tout en proposant quelques suggestions sur l’emploi ou l’orthographe d’un terme ou d’une locution. Ces réformes, on le sait, ont fait l’objet d’un chapitre entier dans Esthétique de la langue française. Elles sont au cœur des préoccupations linguistiques de Gourmont en tant que critique. On en sait peu, en revanche, de sa pratique de l’écriture en tant qu’écrivain. C’est pourquoi, il serait intéressant d’établir un rapport entre ses réflexions spéculatives et son activité d’écrivain.
 
Cette lecture succincte de Problème de style nous montre une méthode critique propre à Remy de Gourmont. Elle s’appuie, nécessairement, sur un procédé essentiellement scientifique : celui de la « dissociation d’idées ». Une pratique qui  est au cœur de sa pensée, toujours en perpétuelle évolution. A cet effet, il conviendrait de voir comment Gourmont applique cette méthode d’analyse dans son travail de critique. On s’interrogera également sur la nature de sa critique, marquée, de prime abord, par une déconstruction des poncifs littéraires.