« Pour moi l’idée Nation se dissout dans l’idée Humanité, et je ne connais qu’une patrie, la lumière… », Victor Hugo à Robert Poehler, 30 avril 1867, Corr. Hugo, t. III, pp.30-31 Je crois qu’il faut démêler le racisme, car il pose un problème de langage. Et aujourd’hui encore le même problème éthique. La race humaine est prise entre deux pôles. D’un côté, la race blanche, de l’autre la race noire. Ce qui est une inexactitude sociologique née d’une confusion grammaticale évidente. Sociologique, parce qu’il n’y a qu’une race : humaine. Hobbes dira cette unicité en des termes laconiques « l’homme est un loup pour l’homme » ( l’expression, « homo homini lupus » est d’origine latine; on la doit à Plaute ). L’homme est un homme. Partout où il se situe, il est un homme. Rousseau parlera de semblable (Livre I, Confessions).
 
La confusion lexicale est qu’à la place du singulier le pluriel a été substitué : la race devient les races. Le discours de l’homme a dépecé l’unité de l’humanité. Il en a fait un monstre pluriel : un animal à plusieurs têtes comme Cerbère. Le mot « racisme », selon Trésor de la langue française, apparaît pour la première fois en 1902 dans la Revue blanche sous la plume d’un certain Maybon. Le terme race (rasse) est détourné de son sens originel qui, dès le XIVème siècle, renvoie à l’ « ensemble des ascendants et des descendants d’une même famille, d’un même peuple » (cf. Trésor de la langue française). L’humanité n’est alors plus qu’un ensemble de familles composées. Une composition motivée qui s’est offerte le luxe d’une hiérarchie. A la manière des pièces montées, il y a des familles tout en haut ayant une vue dominante sur toute chose, une vue imprenable; il y a des familles qui regardent d’en bas l’immensité de la pièce érigée. Ce morcellement de l’humanité n’est cependant pas né du siècle dernier.
 
L’idée d’une race supérieure s’est enracinée dans l’art et la culture des sociétés qui l’ ont défendue à dessein. Pour le maintien d’une conception clivante et oppressante de la vie humaine sur terre. Cette idée multi-séculaire a traversé les époques jusqu’à nous affoler aujourd’hui encore. Cet affolement est d’autant plus violent qu’il met à mal la notion de liberté que toutes les sociétés modernes s’évertuent à défendre corps et âme. Dans ces mêmes sociétés démocratiques, le mot racisme n’est pas remis en question. Il n’est pas critiqué. Il n’est pas situé historiquement pour comprendre son évolution, son extension, sa supposée polysémie qui n’est que politique. D’où des malentendus à l’origine de violences et de persistantes diatribes des uns envers les autres. Un homme blanc est raciste s’il abhorre l’homme noir. Ce rejet n’est pas du racisme car dans une famille (l’humanité) on peut se détester, se haïr, s’exécrer : il suffit de lire la douloureuse destinée des Tutsi dans le génocide Rwandais. La Première et la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne d’Hitler contre le monde. « L’homme est un loup pour l’homme ». Ce sont des guerres, des génocides qui tuent la race humaine. L’homme participe de son extinction lente mais sûre. Le blanc comme le noir est une couleur. L’homme blanc est nombreux sur terre par rapport à l’homme noir : c’est une lapalissade. Pour autant l’homme blanc dans sa réalisation est indissociable de l’homme noire, et vice-versa : c’est un fait historique. C’est l’histoire d’une famille. C’est celle d’un arbre à plusieurs ramifications. Mais d’un seul arbre.
 
A la notion de racisme se sont mêlées les idées complexes de discrimination, diversité, inclusion qui font tant de mal à la race humaine car elles participent au maintien de cette inconnaissance tenace. Tout est ramené au racisme. Un entretien d’embauche avorté est un acte raciste. Une publicité peut devenir raciste. Un meurtre peut devenir raciste. Il ne peut pas être un meurtre abominable ! Un propos est vite fait raciste. Sous l’effet de l’hyper contemporain, tout le quotidien devient raciste. Tout. De sorte que l’on a perdu de vue ce qu’est véritablement le racisme, qui est la préférence à l’homme d’une autre espèce animale! Un chien préféré à l’homme faisant des libations dans la rue, à l’homme accroupi dans le froid de l’hiver, c’est du racisme ! C’est le racisme du tragique quotidien, qui passe inaperçu. Le tragique quotidien tel que Maeterlinck l’a si bien écrit. La préférence d’un homme à un autre demeure une injustice sociale mais cet acte individuel ne relève pas, à mon sens, du racisme.
 
Dans nos sociétés surveillées, et fortement connectées, le contrôle d’identité selon la couleur de la peau est un acte raciste. Je ne suis pas certain. Je crois plutôt que c’est une menace de la démocratie et de l’unité d’une communauté. C’est une oppression des uns par les autres. C’est un coup dur donné au pacte social. Ce n’est pas, je crois, un acte raciste encore une fois. Et pour être cohérent, pensons la condition des minorités culturelles dans certaines régions du monde. Pensons, par exemple, au génocide Cambodgien. Le mot racisme doit donc être nécessairement situé pour le débarrasser de toutes les confusions qui empêchent de se poser des questions, de s’interroger sur sa propre condition en tant qu’individu, un. C’est un travail que chacun doit faire pour se réaliser en société. Car il est déjà un acte d’individuation majeur, puisqu’il permet l’expression de soi en supprimant les amalgames et en ne confondant pas tout. C’est la besogne de la race humaine si elle veut survivre à sa perte organisée et prédite par les Anciens.