Nous l'avons déjà écrit ailleurs : cette phrase célèbre nous vient de Plaute, auteur latin connu notamment pour ses comédies et son théâtre. Thomas Hobbes a ensuite développé cet aphorisme, devenu proverbe.
Plusieurs questions nous viennent à l'esprit : que signifie cette maxime ? Quelle est sa valeur ? Qu'est-ce qui fait qu'elle a parcouru les siècles jusqu'à nous ? Comment continue-t-elle de nous affoler aujourd'hui encore en 2023 ? Pour répondre à ces questions, nous nous proposons : d'abord de situer ce propos dans l'ouvrage de Plaute. Ensuite de lire Thomas Hobbes pour comprendre son point de vue à ce sujet.
Situer ce propos dans l'ouvrage de Plaute : C'est dans Asinaria ( L'asinaire), Acte II, Scene IV que nous avons lu cette phrase, qui est une réplique de Mercator ( le Marchand ) : "Lupus est homo homini, non homo, quum qualis sit non novit" ("Tout homme est un loup & non un homme, pour qui ne le connait point". Traduction par Henri Philippe de Limiers). Nous constatons que la phrase de Plaute, sortie de son contexte, n'a rien à voir avec le proverbe,qui en a tronqué la partie essentielle. L'homme n'est un loup pour l'homme que s'il ne connait pas son semblable. C'est la méfiance du Marchand* face à Léonide*, qui traduit donc une absence de confiance. Pour autant, cette notion de confiance n'explique pas en quoi l'homme pour son semblable est un loup, c'est-à-dire, dans un sens figuré, un être impitoyable et médisant. 
C'est en lisant toute la pièce de Plaute que nous saisissons la  signification de cette célèbre maxime. Le prologue de cette comédie en cinq actes suffit à montrer toute la cruauté dans la nature humaine : "Un vieillard, asservi aux volontés de sa femme,veut seconder les amours de son fils en lui fournissant de l'argent. Dans cette vue,il fait compter entre les mains del'esclave Léonide une somme que l'on avait apportée à Sauréa pour le prix de la vente d'un troupeau d'ânes. Puis on donne l'argent à la maitresse du jeune homme qui, par reconnaissance, cède à son père une nuit de la belle. Un rival,indigné de se voir enlever celle qu'il aime, se sert d'un parasite pour tout révéler à la femme du vieillard. Celle-ci accourt, et arrache son mari du lieu même de ses débauches ( prostitutions)" ( Sous la direction de Nisard, Théâtre complet des Latins, Dubochet et Compagnie, Paris, 1844).
 
L'intrigue est un enchevêtrement de machinations dans lequel il y a de l'asservissement, de l'indignation, de l'individualité, de la rivalité, etc. L'homme est réduit à sa condition d'animal capable de ruse  pour tromper l'innoncence de son semblable et parvenir à ses fins, et cela par tous les prétextes, y compris religieux. L'homme, dans la comédie de Plaute, est donc perfide et sans pitié : il tourmente, trompe, inflige la souffrance, se méfie tout à la fois. De là sans doute cette allégorie du loup qui est associé à l'avidité, à la querelle (voir la fable Lupus et Agnus), à la manie "d'accabler" le plus faible, celui qui est innocent. C'est vrai dans la fable de Jean de La Fontaine, Le loup et l'agneau.
 
Le sens complet de la pensée de Plaute repose alors dans sa comédie L'Asinaire, qui, toute entière seulement, permet d'en comprendre les subtilités. Mais, il nous semble que la valeur originale de ce proverbe tient dans sa structure syntaxique. Il y a un effet miroir dans l'organisation des mots : "L'homme est un loup pour l'homme". L'homme est défini comme le reflet obscur de lui-même. Il est, en d'autres termes, son propre ennemi.
 
Ce parti pris de Plaute sur la nature humaine a eu un écho considérable pendant plusieurs siècles. Il a traversé les époques sans être discuté tout à fait.
 
Que dit Hobbes de "l'homme est un loup pour l'homme": Au XVIIème siècle, le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588 - 1679) s'empare sérieusement de la question de la nature humaine. Dans son livre, De la nature humaine, paru d'abord en anglais en 1640, Hobbes définit plusieurs notions fondamentales dans la vie de l'homme en société : la liberté, le hasard, la nécessité, le citoyen, La religion..., etc. Ce qui nous intéresse ici, c'est ce qu'il dit de l'être humain qui cherche à nuire son semblable, et il n'est pas ici question de couleur de peau :
 
« La plus ordinaire cause qui excite les hommes à s'offenser et à se nuire les uns aux autres est que, plusieurs recherchant en même temps une même chose, il arrive fort souvent qu'ils ne peuvent la posséder en commun et qu'elle ne peut pas être divisée. Alors il faut que le plus fort l'emporte, et c'est au sort du combat à décider de la question de la vaillance. »
 
Pour faire simple,  Hobbes considère que pour empêcher que les hommes ne se dévorent entre eux, eh bien il faut les mettre en cage, sous le joug écrasant du despotisme. C'est le seul moyen de leur garantir la paix. Hobbes, qui est un philosophe matérialiste, s'oppose ainsi à Aristote pour dire que l'homme n'est pas un animal politique. En ce sens que l'homme n'a pas une disposition naturelle à la société. Pour Hobbes, l'homme ne recherche dans toute société que la satisfaction de lui-même. Il ne cherche que ce qui lui semble bon pour lui-même. C'est  cette qualité seule de "conservation"  qu'Hobbes reconnaît à l'homme. Or, c'est cette qualité, qui est le droit de posséder pour soi-même, commune à tous les hommes, qui est à l'origine de toutes les guerres jusqu'à nos jours. Hobbes n'a donc pas confiance dans la bonté humaine. Il va même très loin en fondant la théorie du "Bellum omnium contra omnes" (La guerre de tous contre tous), que Montesquieu combattra de toutes ses forces dans L'Esprit des Lois notamment.
Cette théorie, c'est l'état de société, où prend racine tout ce qui corrompt l'homme, nous l'avons vu : la jalousie, la nuisance, la rivalité, l'intérêt. Autrement dit, tous les ingrédients de la pièce L' Asinaire de Plaute.
*Marchand ( étranger dans la pièce) *Leonide ( esclave de Déménète, vieillard)